Éric Ciotti dans "C à vous" : n'invitons plus l'extrême droite
Le 29 octobre, dans C à vous sur France 5, Anne-Elisabeth Lemoine et Patrick Cohen font face au député et président de l’Union des droites pour la République à l'Assemblée, Eric Ciotti. "Jordan Bardella a exprimé sa profonde indignation après l'annonce de non-diffusion de publicités pour la sortie de son livre dans les gares", résume Anne-Elisabeth Lemoine. "Son éditeur avait réservé 580 panneaux de gare sans préciser l'auteur, sachant très bien qu'une fois l'auteur et l'objet du livre connu, la publicité serait interdite par la régie publicitaire de la SNCF et de la RATP, qui applique à Jordan Bardella, comme à tous les autres auteurs..." Elle n'a pas le temps de terminer sa phrase.
"Vous êtes sûre ?" lance Eric Ciotti, rictus en coin. Il poursuit. "Vous savez, monsieur Mélenchon a le même éditeur que Jordan Bardella : Fayard. Vous croyez que s'il a le temps d'écrire un livre entre deux outrances, Sud Rail et la CGT Cheminots va l'interdire ? Je ne crois pas." Anne-Elisabeth Lemoine réplique qu'on parle de "la régie publicitaire de la SNCF", mais qu'importe, Ciotti déroule : "Tout ça, c'est une vaste blague. C'est la domination des syndicats d'extrême gauche qui ont contraint à cette censure." À ces mots, la caméra filme un Patrick Cohen, désarçonné, qui souffle "Non". Ciotti surenchérit : "C'est quoi, la prochaine étape, l'autodafé ?"
Patrick Cohen fait preuve de patience et explique tranquillement que pour parler de censure, il faudrait démontrer que contrairement à Bardella, d'autres hommes politiques en poste auraient bénéficié de publicité à la SNCF. Ciotti s'entête ; Cohen rappelle que "c'est interdit dans les conditions générales de vente de Médias transport". Sa voix vacille un peu, il sourit nerveusement - sa patience s'amenuise. Anne-Elisabeth Lemoine lève les yeux au ciel et prend le relais : "Bardella s'assurait un scandale." Ciotti n'écoute pas : il est parti à 200 km/h sur l'autoroute de la désinformation, et continue d'accélérer. Tout est la faute de "cette intolérance d'une gauche de plus en plus radicalisée", qu'on "subit à l'Assemblée, dans la rue". Patrick Cohen fait la moue - mi-amusé, mi-désespéré, on ne sait plus trop. "Non", dit-il, "la régie, c'est Publicis."
Ciotti maintient : tout est de la faute des "syndicats, qui sont en négociation avec la direction de la SNCF", et "c'est eux qui imposent leur diktat". Cohen abandonne : "Je crois que c'est loin de la réalité." Réponse de Ciotti : "Je crois que c'est vous qui êtes à côté de la réalité." Face à l'argumentaire de plus en plus tordu d'un Ciotti borné ("c'est une décision ad hominem !"), les grimaces de Patrick Cohen sont devenues virales. "Prouvez-le", supplie le journaliste, qui s'accroche encore à la vérité et à "l'article 8 des conditions générales de vente des contrats de MédiasTransport". Face aux fake news d'Eric Ciotti persuadé d'avoir raison ("Vous aussi, prouvez le contraire" - "C'est inscrit dans les conditions contractuelles, vous comprenez le français ?"), nous sommes tous·tes Patrick Cohen et ses moues désabusées.
C'est lorsqu'Eric Ciotti annonce que lui et Cohen "ne seront pas d'accord", et que Patrick Cohen s'étrangle ("Il n'est pas question d'accord, mais de fait ! Est-ce qu'on peut se mettre d'accord sur un fait ?") que cette séquence absurde vient illustrer un problème global. L'extrême droite, dont Ciotti fait partie désormais, ne veut pas débattre. L'extrême droite ne se remettra jamais en question, quitte à se ridiculiser en direct ; l'extrême droite combat la vérité au profit de son discours de haine. S'il ne peut exister ni débat, ni réalité factuelle, alors pourquoi l'inviter ? Pourquoi s'étrangler, s'épuiser, comme le fait Cohen ? N'est-il pas du pouvoir des journalistes de décider à qui l'on donne la parole, et à qui on ne la donne pas ?
En visionnant cette séquence, un commentateur belge s'est posé cette dernière question. "Rarement un échange n'a pu illustrer à ce point le caractère vital et démocratique du cordon sanitaire en Belgique", a-t-il tweeté, en référence à la tradition des médias belges francophone de ne pas donner la parole à l'extrême droite (comme nous vous en parlions récemment). "Rendre publique la parole de l'extrême droite ce n'est pas la combattre, c'est donner une tribune à la manipulation et aux fake news." On rit nerveusement, devant cette vidéo, en empathie avec Cohen. Mais c'est cette acceptation tacite de la parole d'extrême droite par les médias, cet amusement devant ce qui semble un clown ridicule - ici Ciotti, ailleurs, Trump, Milei ou Bolsonaro - qui a facilité la propagation de leurs fake news, et détruit, tranquillement, la sérénité du débat public.
Devant son refus clair et net de reconnaître les faits, il aurait fallu dire à Eric Ciotti de quitter le plateau. L'extrême droite, "de plus en plus radicalisée", ignore la vérité et se moque du journalisme. Alors ne l'invitons plus, ne lui donnons pas la parole, bannissons-la. Avant qu'il soit trop tard, comme chez nos voisins d'outre-Atlantique. Si ce n'est pas déjà le cas.
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