Il en faut peu, aux médias toutes lignes éditoriales confondues, pour faire d'un politique une nouvelle coqueluche médiatique : prenez un homme, de droite, plus de 50 ans, blanc, au discours martial sur la sécurité et l'immigration et c'est plié. Il suffit qu'il répète les mêmes éléments de langage et le voilà propulsé sur tous les plateaux télés. A 64 ans, Bruno Retailleau, l'ancien sénateur de Vendée, fils politique de Philippe de Villiers, a trouvé sa voie politique et médiatique. Omniprésent comme l'était Nicolas Sarkozy, à la droite extrême, il bénéficie d'un traitement médiatique très favorable. Pourquoi ? D'où tire-t-il sa légitimité politique ? Comment les médias accompagnent son ascension politique ? Pour répondre a ces questions, trois invités : Alexandre Pedro, journaliste au Monde, en charge du suivi de la droite, Emilien Houard-Vial, politologue, attaché d'enseignement et de recherche (ATER) à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et Marie Coq, journaliste, cofondatrice du journal mensuel d’enquêtes locales, le Sans Culotte 85, pour lequel elle a couvert le parcours politique vendéen de Bruno Retailleau pendant près de 20 ans.
"Pour Bruno Retailleau, sur les sujets liés aux moeurs, l'idéologie prend le pas sur la République"
Comment qualifier politiquement Bruno Retailleau ? Toutes les nuances y passent : droite, droite décomplexée, conservateur, de droite dure, de droite radicale. "Je n'hésite pas à dire qu'il est ultra-conservateur, répond Marie Coq, foncièrement animé par une idéologie. Il est foncièrement respectueux des valeurs républicaines mais quand il s'agit de défier la loi sur la laïcité, la loi républicaine ne tient plus. Sur pas mal de sujets, il flirte avec l'extrême droite". Mais comment être profondément républicain en s'asseyant sur unes lois les plus importantes de la République, à savoir celle sur la laïcité de 1905 ? "A partir du moment où il s'agit de parler de moeurs sur des aspects ultra-conservateurs, l'idéologie prend le pas".
Entre les identitaires et Bruno Retailleau, "une proximité idéologique"
Nous sommes en juillet 2023 et Bruno Retailleau n'est toujours pas le ministre de l'Intérieur omniprésent dans les médias. Pourtant, déjà, il fait parler de lui avec ce propos dénoncé à l'époque comme raciste, notamment par Manuel Bompard, au sujet des jeunes issus de l'immigration des quartiers populaires : chez eux, "il y a une sorte de régressions vers les origines ethniques", clamait-t-il alors sur l'antenne de France Info. Un an et demi plus tard, voilà Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, invité d'une conférence sur la sécurité organisée par l'avocat très droitier Thibault de Montbrial. A cette occasion, il est interrogé par Alice Cordier, la cheffe de file du collectif Némésis, un groupe de femmes aux discours racistes et islamophobes, accusant étrangers et musulmans d'être responsables des violences sexuelles en France. La militante identitaire, présente dans le public, filme la scène et la diffuse sur ses réseaux. Dans cet extrait, Bruno Retailleau la félicite : "Bravo pour votre combat, vous savez que j'en suis très proche", dit-il. Selon les informations du Monde, rapporte Alexandre Pedro, "il n'y a pas eu de rendez-vous secret entre Alice Cordier et Bruno Retailleau. Ils ne se connaissent pas. Il soutient son combat idéologique mais il n'y a pas de relations personnelles (...) Il y a une proximité idéologique, notamment avec les gens de Reconquête qui demandent à quelle adresse de Bruno Retailleau ils peuvent envoyer leurs CV".
Bruno Retailleau, une menace pour le RN ? "Il n'a jamais été aussi probable que Marine Le Pen devienne présidente"
Un positionnement politique qui fait dire à de nombreux commentateurs médiatiques que Bruno Retailleau représente une menace pour le rassemblement national. "Les gens ont l'air très inquiets pour l'avenir du RN, ironise Emilien Houart-Vial. Il est à 34% aux dernières élections législatives, il va très bien. Ca fait quinze, vingt ans que la droite tient des propos qui normalisent les idées du RN, ça n'a pas l'air de limiter sa progression. Ils se basent sur quelques exemples ponctuels mais ils ne voient pas l'énorme dossier, à savoir une droitisation de la droite et du centre et un monopole d'extrême droite aujourd'hui. Il n'a jamais été aussi probable que Marine Le Pen devienne présidente dans quelques années. Ça me semble totalement en décalage avec les tendances de fond".
Aller plus loin
"Comment Bruno Retailleau a cherché à imposer sa marque au ministère de 'Intérieur, Le Monde, 14 octobre 2024
"Bruno Retailleau, l'idéologue", Podcast du Monde
Bruno Retailleau, directeur de la radio Alouette, INA, 1986
Les archives du Sans Culotte 85
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