"Apocalyptique", c'est l'un des mots les plus fréquemment utilisés pour décrire les images des feux en Californie dans les médias français. Le bilan est en effet très grave : au moins 25 morts, plus de 12 000 bâtiments détruits, dont beaucoup d'habitations et 88 000 personnes déplacées, selon les derniers bilans. Que nous en parvient-il, en France ? Une réponse : l'image d'un rêve que l'on voit brûler. Celui du mode de vie étatsunien et de ses mythes les plus forts. Un mode de vie qui, justement, est à l'origine de la crise écologique et donc, de l’ampleur de ces feux. Comment les médias en ont-ils parlé ? Quels termes ont-ils et n'ont-ils pas utilisés ? Que révèle le vocabulaire, les images, bref, le prisme adopté pour parler de ces feux ?
Pour voir quelles données, quels récits manquaient peut-être au débat, ou au contraire, ont été sur-mobilisés dans le paysage médiatique français, quatre invité·es : Philippe Vion-Dury, directeur de publication de Fracas ; Vincent Lucchese, journalistique scientifique à Reporterre ; Élise Boutié, anthropologue et rédactrice d'une thèse sur les réactions humaines après le feu de Campfire en 2018 en Californie ; et Gaël Musquet, "préventeur", terme québecois pour désigner le métier d'analyse et de prévention des catastrophes environnementales.
Présenter le feu comme un ennemi : un biais occidental
Les pompiers qui "luttent" contre les flammes, l'armée déployée pour repousser le brasier... Le vocabulaire employé par les médias pour illustrer le travail des "soldats du feu" présente l'incendie comme un ennemi à combattre. Et ce n'est pas anodin. Car il est possible de voir le feu autrement : comme un état de fait, un phénomène attendu en Californie, avec lequel il faut vivre et auquel il faut s'adapter.
Pour Vincent Lucchese et Élise Boutié, il est important de rappeler que d'autres populations - comme les communautés autochtones, présentes avant la colonisation des États-Unis - laissaient brûler des feux contrôlés. Ils permettaient de protéger les forêts contre d'éventuels mégafeux.
Un angle mort : l'agroalimentaire en Californie
Les écologistes sont-ils en partie responsables de l'ampleur des feux en Californie ? C'est ce que Donald Trump, ainsi qu'une partie des médias, ont laissé entendre. En refusant d'installer des bassines, en déconseillant de débrousailler ou en voulant protéger un "petit poisson", les écologistes auraient détourné une partie de l'eau et rendu la forêt vulnérable. Selon Vincent Lucchese, il est important de visibiliser d'autres acteurs : l'industrie agro-alimentaire, qui aurait la main sur 80% de l'eau en Californie, et les riches, dont le mode de vie accentue la crise.
L'un des symboles représentatifs de cet accaparement est le couple Resnik : deux milliardaires, à la tête d'entreprises de pistache, de mandarines ou de livraison de fleurs. D'après une enquête du journal Mother Jones en 2016, leurs exploitations consommeraient certaines années plus d'eau que l’ensemble de la ville de Los Angeles et de la baie de San Francisco réunies. Seuls deux médias français ont parlé d'eux.
Montrer les stars dans la panade, est-ce utile ?
Voir Laeticia Hallyday, Patrick Bruel ou Paris Hilton touché·es par les incendies peut apparaître comme un symbole fort : si même les plus riches, les happy fews, sont victimes d'une telle catastrophe, cela veut dire que le réchauffement climatique peut toucher tout le monde. Cela peut aussi donner un espoir de voir les personnalités les plus puissantes s'engager franchement pour l'écologie. Vraiment ? Philippe Vion-Dury n'est pas convaincu par l'argument.
Reconstruire... ou surtout partir
Après les précédents feux en Californie, certain·es habitant·es ont reconstruit leurs maisons... exactement au même endroit, exactement de la même manière. À l'heure des premiers constats, la plupart des médias imaginent déjà un avenir similaire dans les quartiers dévastés de Los Angeles : il faut reconstruire le plus vite possible, pour que les habitant·es retrouvent leur vie d'avant. La question ne s'est pas posée de la même manière du tout après le passage du cyclone Chido à Mayotte, observe Gaël Musquet.
Ces traitements journalistiques différenciés rappellent que les territoires ne sont pas considérés de la même manière, s'ils sont riches ou s'ils sont pauvres. Quoi qu'il en soit, l'humanité doit se poser une question, martèle le préventeur : au lieu de reconstruire, ne faut-il pas plutôt partir ?
Pour aller plus loin :
- Le dernier numéro de la revue Fracas, sur "La menace carbofasciste", sorti le 17 janvier 2025
- Les travaux de Vincent Lucchese pour Reporterre.
- Les travaux d'Élise Boutié, et notamment son interview pour Mediapart.
- Le cadre d'action de Sendai, rédigé par les Nations Unies, pour la réduction des risques de catastrophe (2015 - 2030), évoqué par Gaël Musquat
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