Askolovitch, "Madame Gardin" et moi
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Askolovitch, "Madame Gardin" et moi

Donc, on ne lâchera jamais Blanche Gardin. Dans Télérama, l'humoriste, mélancolique et un peu dépressive, racontait voici quelques semaines comment l'épisode de son fameux sketch visant les abus de l'accusation d'antisémitisme (voir cette Obsession) avait "éteint son clown". En passant, elle décochait une nouvelle flèche contre sa collègue Sophia Aram, qui "a choisi son camp, celui du pouvoir". Ladite Sophia Aram répondait dix jours plus tard, dans une longue "lettre ouverte" aux deux journalistes de Télérama, autrices de l'entretien.

Tout a-t-il été dit ? Non. Ce week-end, sur Instagram, dans un texte aux accents douloureux, c'est au tour de Claude Askolovitch, titulaire de la revue de presse de France Inter, de prendre la défense d'Aram, sa camarade de la Matinale. "Relisant une interview de Mme Blanche Gardin dans Télérama..." commence-t-il. Tout est dit dès la seconde ligne. Blanche Gardin est "Mme Blanche Gardin". Quoique personnalité publique au même titre que Askolovitch, dès cet instant elle est exclue du monde enchanté des beautiful people. 

Si Blanche a suscité la douleur de Claude, c'est pour un passage de son interview à Télérama : "Moi je suis du côté (...) de tous les Juifs qui refusent de se laisser embastiller dans le projet sioniste".  C'est la phrase qui ne passe pas. Et Claude, sur Instagram, d'entamer pour la cancresse un cours d'Histoire du projet sioniste, qui fut "une émancipation, une libération, une tentative de rompre la vieille malédiction des juifs"Comme si c'était la question de 2025. Comme si David n'était pas aujourd'hui devenu Goliath.

Certes, Askolovitch se veut nuancé, nuance qui s'exprime à grand renfort de doubles négations. "Nul ne prétend que l'histoire du sionisme, et plus encore l'histoire d'Israël, est sans échec et sans honte (...) Mais je n'ai pas envie ici de montrer patte blanche en exprimant ce que je pense de gouvernants israéliens". "Nul n'est assez fou ici pour ne pas trembler en pensant aux milliers d'enfants de Gaza morts sous les bombes". Il faut comprendre qu'Askolovitch critique Netanyahu et tremble pour les enfants de Gaza, mais qu'il ne le dira pas. Il ne montrera pas "patte blanche" -à qui, d'ailleurs ?

Ce qui "attriste" Askolovitch, c'est que Gardin "exclut -semble- exclure- de sa peine ma famille israélienne, et tous ceux qui ne renient pas un pays dont on pourrait, alors, on peut, tuer des vieillards, des bambins, sans que le ciel se voile". Relisez bien : Gardin est présumée coupable d'apologie en creux du terrorisme. Ou tout au moins, de non-compassion pour ses victimes.

Quel coquin de sort me prend, ce dimanche matin ? Peut-être tout simplement ce Mme Gardin. A ce texte public, je poste un court commentaire sur le "Mme Gardin". Et vlan, j'y balance à Askolovitch que toutes ces affèteries, toute cette tristesse ostensible, masquent une vérité implacable : pour le grand Manitou de la revue de presse de France Inter,  ce texte n'est rien d'autre qu'une "patte blanche" montrée...au camp pro-israélien. Eût-il osé exprimer l'inverse, soutenir Blanche Gardin dans sa dénonciation des abus de l'imputation d'antisémitisme, Askolovitch risquait la mise à l'écart de France Inter dans la semaine. C'est ainsi. Cela s'appelle le double standard de l'audiovisuel français.

Dans les cinq minutes, mon smartphone affiche un SMS de mon estimé confrère. Je suis un "crétin aigri, insidieux et et complotiste". Il "m'emmerde". Il "se fout de (m)on opinion". Etc etc. L'échange s'étire sur une partie de la matinée. Mais attention, avertit-il ensuite: "ceci est une correspondance privée". Pas question de le citer. Si je me l'autorise tout de même, c'est parce que cette vulgarité révèle deux Askolovitch. Celui, au micro, qui entortille ses phrases avec des sanglots à rallonge, et celui qui se lâche en texto. Sans doute le second éclaire-t-il un peu le premier. Combien de "je t'emmerde !" refoulés derrière les élégants "Madame Gardin" ?

Claude Askolovitch a livré dans le domaine public plusieurs aspects de sa biographie. Il a publié un livre avec sa mère,  rescapée de Bergen-Belsen. Sa soeur vit en Israël. C'est ainsi auto-situé qu'il compose ses revues de presse, et étale sa "tristesse" sur Instagram devant les interviews de Blanche Gardin. Au moins, dira-t-on, on sait d'où il parle, il dévoile honnêtement ses attaches, ses affects. C'est vrai. Tout au moins, le savent ceux qui s'intéressent à sa personne, et qui ne constituent peut-être pas l'ensemble des auditeurs de la matinale la plus écoutée de France.  Quant à savoir si cette transparence personnelle est louable, ou si cette situation familiale devrait amener un journaliste de la radio publique à faire preuve sur le sujet Proche-Orient d'un redoublement du "penser contre soi-même", je n'ai pas la réponse. Mon propos est ailleurs : dans la mise en évidence du double standard, encore et toujours (désolé pour l'obsession). Si Claude Askolovitch avait une soeur sous les bombardements israéliens à Gaza, s'il appelait à la compassion pour un enfant palestinien autant qu'il appelle à la compassion, encore sur Instagram, pour le petit bébé-otage israélien Kfir Bibas, dont le corps a été rendu ce week-end aux Israéliens après une insoutenable attente, serait-il encore jugé légitime de présenter la revue de presse de France Inter ?


 Je concède un point à Askolovitch : qu'il pense sincèrement ce qu'il écrit. Qu'il est un agent sincère de la fabrique du consentement français à la colonisation israélienne. Comme par exemple une Delphine Horvilleur, il parle au nom d'un "Israël humain et raisonnable" aujourd'hui imaginaire, d'un Israël qui "avertit avant de bombarder" d'un Israël qui ne serait pas sorti du droit international en 1967. Il parle au nom d'un "camp de la paix" assassiné en 1995 avec Yitzhac Rabin. Comme tous ceux qui font semblant de croire que "la solution à deux Etats" est encore possible, aveugles au fait que non seulement Netanyahu, mais l'écrasante majorité des Israéliens n'en veulent pas, pour ne pas parler des Palestiniens. Quant aux égarés comme Blanche Gardin, il ne leur en veut pas. Il aimerait tellement les ramener dans le droit chemin. Les prendre par la main et les emmener rencontrer tous ces formidables israéliens de gauche de sa famille, qui condamnent Netanyahou.

Au terme de notre échange dominical d'amabilités, Claude Askolovitch m'a envoyé le lien de sa revue de presse du 11 février, consacrée à l'interview de Gardin dans Télérama, sans doute pour me convaincre de son absence de griefs personnels contre Blanche Gardin. Merci Claude, elle m'avait échappé (je n'écoute  plus France inter). Après y avoir rappelé la "polémique très laide" suscitée par le sketch fatal (sans préciser si c'était le sketch lui-même, ou ses critiques, qu'il jugeait "très laides"), il conclut à propos de Blanche Gardin : "Elle fut, gamine, une fugueuse près de punks à chien. Peut-être finalement loin des paillettes, se retrouvant, elle ira bien". Autrement dit retourne donc, gamine, près des punks à chien, où t'attend ta place douillette, que tu n'aurais jamais dû quitter. Tu n'es définitivement pas digne de nos palais.



Le blog Obsessions est publié sous la seule responsabilité de Daniel Schneidermann, sans relecture préalable de la rédaction en chef d'Arrêt sur images.

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