Notre impuissance est dans ses yeux
Capture d'écran de L'Obs
Photo © Youssef Boudlal
La fonction de ce genre d'image, qui rappelle celle de l'Afghane Sharbar Gula prise par Steve McCurry en 1984, est peut-être de nous déculpabiliser : nous fondons tous de compassion pour cette si jolie petite fille que nous aimons instantanément, que nous avons aussitôt envie de prendre dans nos bras pour la sauver d'une mort promise. Cela nous est impossible, bien sûr, mais l'intention y est. Aussi avons-nous l'impression d'avoir fait quelque chose pour elle et pour son peuple, ne serait-ce que symboliquement. Sauf qu'en vérité nous nous sommes contentés de nous émouvoir devant une jolie petite fille blonde aux yeux bleus, tellement plus proche de nous qu'une petite métèque aux yeux noirs. Et le flux incessant de l'info défile sur nos écrans, En direct de Machin, Notre envoyé spécial à Bidule, et déjà nous pensons à autre chose.
Plus tard, quand nous reverrons cette image, nous retomberons dans le même gouffre compassionnel débordant d'amour sirupeux qui nous empêchera une fois encore de penser que nous n'avons pas levé l'ombre d'un petit doigt pour les Yézidis en train de se faire massacrer par Daech.
Mais que pouvons-nous faire ? Nous réunir à 10, 100, 1 000, 1 million ? Défiler dans les rues en arborant des panneaux «Nous sommes tous des Yézidis ? » Et puis après ? Ils s'en tamponnent le turban, les barbares de Daech. Ils ne vont pas s'arrêter de génocider pour si peu.
Alors bien vite nous nous détournerons une fois encore de cette si jolie petite fille, surtout ne pas la regarder plus de deux secondes, surtout pas. Notre impuissance est dans ses yeux.
L'occasion de lire ma chronique intitulée Le nez d'Aisha.
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