Charlie : un documentaire BBC expurgé d'images-choc sur France 2
Terror in Moscow (2003), Terror in Mumbai (2009), Terror at the mall (2014)… Si Dan Reed n’est pas connu pour avoir une imagination débordante (le titre anglais du documentaire sur Charlie Hebdo ? Three days of terror), il est en revanche respecté dans les milieux policiers pour la rigueur et la précision de ses documentaires, qui portent tous sur des attentats ou des prises d’otages. Lorsque, missionné par HBO (chaîne américaine dont @si vous parlait ici), la BBC et France 2 pour réaliser un reportage sur les événements de janvier 2015, il s’est adressé aux membres du GIGN, il a reçu un très bon accueil de ces derniers… qui ont affirmé étudier ses films comme "des cas d’école d’assaut complexe en milieu urbain", dévoilait un récent article de L’Obs. Une reconnaissance professionnelle qui lui a permis d’accéder à des enregistrements inédits.
Est-ce par respect pour les proches des victimes (qui avaient clairement appelé les journalistes à "éviter les détails mortifères" à l’occasion de l’anniversaire de l’événement), ou par peur de choquer des sensibilités, que le réalisateur anglais a choisi de censurer certains passages de son documentaire dans sa version destinée à France 2 ?
Dans la version française de son documentaire, le corps d’Ahmed Merabet, le policier tué par les frères Kouachi sur le boulevard Richard Lenoir, apparait flouté. La séquence où l’on voit le policier relever une dernière fois la tête avant d’être abattu a été supprimée :
Ahmed Merabet, flouté sur France 2...
...ne l'était pas sur la BBC, la veille
Modifications aléatoires
Mais c’est le caractère parfois aléatoire des modifications qui laisse songeur. Un exemple : la version française a été exprurgée de cette photo de la scène du crime prise dans les locaux de Charlie Hebdo :
Extrait du documentaire diffusé sur la BBC
… mais d’autres images qui montrent autant, voire davantage de sang et de détails du lieu de la tuerie, ont été conservées :
Photo diffusée à la fois sur la BBC et France 2
Autre étrangeté : le floutage, presque constant dans la version française, est présent y compris lorsque l’on ne voit d’un cadavre que… les pieds.
Version britannique
Version française
Enfin, on peut voir que le visage de l'un des otages de l'Hyper Cacher Yoav Attab, encore en vie (mais tué ensuite), est lui aussi flouté dans la version française, mais ne l’est pas dans la version anglaise :
Version britannique
Version française
Vérité au-delà de la Manche, pudeur en-deçà...
Si Dan Reed a procédé de la sorte, c’est d’abord –et selon ses propres explications- par respect pour les mentalités françaises qu’il trouve particulièrement "pudiques" sur ce sujet. Une pudeur qui interdisait déjà aux journaux de faire leur Une sur la photo du petit Aylan Kurdi en septembre, contrairement aux autres organes de presse européens. Pour ce réalisateur anglais rompu aux larmes et aux témoignages de toutes nationalités, "chaque peuple a une façon différente de voir et de comprendre les choses.J’ai découvert que les Français, ça les gêne un peu parfois de parler de ces événements où il y a du sang… (…) J’avais l’impression [en interrogeant les témoins] que ce sont des choses que l’on voudrait laisser à l’écart, dont on ne voudrait pas parler". Résultat: "La version anglaise est un peu plus forte, plus dure", estime le réalisateur (sans toutefois préciser qui est à l'origine des coupes).
Le documentaire a reçu un bon accueil sur les réseaux sociaux en France. Ce qui irait peut-être dans le sens du documentariste qui affirme à propos de la diffusion des images sensibles : "Il serait sain que certaines d’entre elles soient montrées, de manière responsable. Cela aiderait les gens à faire des choix en démocratie. On a la chance de voir, d’éprouver les choses, mais il y a un souci d’isoler le public du choc du réel. Pour ma part, je pense qu’il faut qu’il soit un peu choqué. Pas pour faire de la peine, mais pour réveiller. On est trop protégés".
(Par Tifaine Cicéron)
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