Photographe / manifs : "on t'interdit, on te menace, et puis..."
Facebook et reprise hier sur le site du Huffington post, le photoreporter Pierre Gautheron fait le point sur ce qu’il a appris en deux mois à photographier les manifestations.
Après avoir commencé à se concentrer sur les AG des étudiants à Lille et à Paris au mois de mars – "y'en a pour un mois, pas plus" croyait-il à l’époque – Gautheron a couvert les premières manifestations contre la Loi Travail avant de suivre le mouvement Nuit Debout, "une parenthèse calme et agréable après les manifestations, où il n'y a nul besoin d'être sur le qui-vive en permanence."
Une parenthèse vite refermée pour ce photographe pigiste, sans carte de presse, qui publie ou a publié pour Le Journal du Dimanche, Libération ou encore pour le site Taranis News dont le fondateur Gaspard Glanz était récemment l’invité de notre émission sur les violences policières. Quelques semaines après, raconte Gautheron, "les manifestations nocturnes ont commencé et avec elles, les premières fatigues. Trois fois par semaine, des journées de dix heures, de la manif' de 14h à la fin de la nasse nocturne, vers 3h du matin. Un burger dégueu mangé rapidement pour ne rien rater. La peur de ne pas être bon, la tension permanente, la frustration de ne pas avoir fait l'image souhaitée. Et l'impossibilité de décrocher, de se prendre une pause, à quoi s'ajoute la peur d'être blessé."
Que lui ont appris ces deux mois de manifestations ? D’abord la solidarité entre photographes : "nos relations n'ont jamais été marquées par une concurrence quelconque assure-t-il. Plus le mouvement avance et plus nous faisons attention les uns aux autres. […] Et de se répéter au fil des semaines : «Le jour où ça se termine, on se voit tous ensemble et on fait la fête»". Ensuite le goût du gaz lacrymogène, "une vraie saloperie, pourtant interdite par la Convention de Genève et considérée comme une arme chimique". Et enfin, la méfiance : "à chaque déplacement, on me contrôle, on relève mon identité. Je sais que je suis surveillé, tout le temps. Qui est photographe, policier en civil ou manifestant ?"
Bilan : "c'est très formateur un mouvement social pour un jeune photojournaliste. Tu comprends la difficulté d'être une faction neutre sur le terrain. Les syndicats policiers t'accusent d'être «des ennemis du camp de la paix publique» et les manifestants te voient comme un acolyte des médias dominants et du capitalisme. On t'interdit de faire des photos, on te menace, et puis à la moindre violence policière, on vient te dire «Montre bien tout ce qui se passe hein !» Personne ne s'imagine que tu n'as même pas l'argent pour te repayer ton matériel en cas de casse". Pour finalement comprendre qu’il y a trop de journalistes présents et qu’il ne vendra rien "parce qu'une voiture de police incendiée fait plus le buzz que la Gare Saint-Lazare bloquée par des cheminots et des étudiants unis dans la lutte".
>> L'occasion de voir notre émission sur les manifs, avec le photographe Nnoman : "On laisse pourrir pour inciter à la violence".
Cet article est libre d’accès
En vous abonnant, vous contribuez
à une information sur les médias
indépendante et sans pub.
Déjà abonné.e ? Connectez-vousConnectez-vous